Aïte, tori et uke

Extrait du magazine SESERAGI n° 39 – Octobre 2006
Texte de Toshiro Suga

 

    Les kanjis ont des origines parfois obscures et diverses et leurs interprétations souvent multiples et occasionnellement contradictoires. Ils font l’objet de nombreux ouvrages spécialisés.
    Cette rubrique les présente selon l’angle martial qui est souvent méconnu, et plus particulièrement celui lié l’Aïkido.

  1. AITE :
  2. Ce mot fréquemment utilisé en Aikido est composé de deux kanjis ou caractères chinois.
    Le premier « aï » est homophone du « ai » de l’ Aïdkido mais son sens est bien différent. Pour comprendre sa signification nous allons étudier les caractères le composant.

    « Aï » est un kanji lui-même composé de deux caractères distincts, ceux de l’œil et de l’arbre.
    L’œil représente une personne observant un arbre. L’idée qui est transmise ici est celle de deux entités se faisant face et étant distinctes. L’idéogramme transmet donc l’idée de l’autre mais aussi celle d’opposition, d’ennemi ou d’adversaire.

    Le second caractère « te » est très connu. Il est utilisé dans de nombreux tenues d’Aïkido tels que kataTE dori de même que dans KaraTE. Il représente la main. De même que l’œil symbolise l’être humain dans sa totalité, la main est, elle aussi, l’image d’un être dans son entièreté.

    Dans toutes les cultures du monde la main a d’ailleurs un statut très particulier. Ainsi en Europe on demandait traditionnellement la Main de la personne que l’on souhaitait épouser. Cette main représentait alors de la même manière qu’en japonais l’être dans sa totalité.

    Dans le terme « aïte » que nous étudions, la main prend toutefois un autre sens.
    Elle est le membre qui tient l’arme et représente par extension l’arme elle-même.

    Aïte devient alors l’adversaire armé qui nous fait face.

    En se popularisant le terme « aïte » a perdu de sa force d’origine et est devenu graduellement le symbole d’un partenaire plus que d’un ennemi. rejoignant peut-être en cela le message de l’Aïkido.

  3. TORI & UKE :
  4. A leur origine se trouvent les mots « torite » et « ukete » qui étaient probablement plus usités lors de l’époque Meïji.

    Tori est composé de deux kanjis symbolisant la main et l’oreille. Au temps des guerres féodales un guerrier était récompensé en fonction du nombre d’adversaires abattus sur le champ de bataille. Ceux-ci étaient généralement comptabilisés par le nombre d’oreilles coupées que présentait le bushi.

    Le kanji utilisé pour tori se prononce normalement « toru » et signifie : prendre.
    Lorsqu’un kanji est associé à un autre pour former un mot composé sa prononciation change. Toru auquel on a adjoint le caractère « te » que nous avons vu plus haut, ne se prononce plus donc ToruTe mais ToriTe, simplifié en tori par l’usage.

    Uke enfin représente deux mains qui se transmettent un élément dans son intégralité, comme lorsqu’on fait passer des pièces d’une main à l’autre avec l’idée qu’il n’y a ni perte ni chute. Le terme transmet donc l’idée de recevoir.

    Tori est donc celui qui « prend » le corps de l’autre et exécute la technique.
    Uke est celui qui « reçoit » la technique.

    Uke ne chute donc pas simplement et n’est pas le vaincu. ll y a une notion d’échange où, sans perte, les deux partenaires travaillent ensemble, tout autant dans le rôle de tori que dans celui de uke qui est trop souvent négligé.

    L’étude des kanjis nous amène à redécouvrir un aspect totalement concret de notre travail et j’espère que vous y penserez la prochaine fois que vous serez uke sur le tatami.

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